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Pluralité et Unité

 

Le mouvement œcuménique, ou comment concilier pluralité et unité

A         Trois approches de l'unité de l'Eslise

Dans une conférence datant de 1955, le Dr. W.A.Visser't Hooft, premier secrétaire-général du COE, définissait trois types d'approches traditionnelles qui avaient marqué la recherche d'unité de l'Eglise :

1) Une tradition ecclésiastique, pour laquelle l'essentiel consiste à  reconnaître le dessein de Dieu de rassembler le peuple appelé à  témoigner : l'Eglise-corps du Christ est une, de par sa nature même. L'unité n'est donc pas à  instituer, mais à  reconnaître, à  confesser.

*  Cette approche rend notamment compte de la conception que les Réformateurs avaient de l'Eglise. Ainsi, l'art. 7 de la Confession d'Augsbourg (luthérienne ; 1530) affirme-t-il : 'Nous enseignons qu 'il ne doit y avoir qu 'une sainte Eglise chrétienne et qu 'elle subsistera éternellement. Elle est l'assemblée de tous les croyants parmi lesquels l'Evangile est prêché fidèlement et les saints Sacrements administrés conformément à  l'Evangile. '                                                                                De même, une génération plus tard, la Confession helvétique postérieure (réformée ; 1566) : 'Puisqu 'il n'y a toujours qu 'un Dieu, (...), il s'ensuit nécessairement qu 'il n'y a qu 'une Eglise,           que nous appelons catholique, d'autant qu 'elle est universelle... '

2) Une tradition érasmienne, qui envisage l'unité sur la base d'un accord entre Eglises sur quelques points fondamentaux et indispensables de doctrine.

Dans cette perspective, il en va de rendre possible une reconnaissance mutuelle d'ecclésialité : ce n'est pas l'unité institutionnelle qui est visée, mais la communion des Eglises dans la foi.

*   Des tentatives de 'concorde', voire de 'réunion ' entre catholiques et protestants furent ainsi esquissées à  la fin du 16ème et au début du 17ème s., qui devaient demeurer sans effets. A échelle restreinte, un Synode rassembla à  Dordrecht, en 1618, des représentants des luthériens d'Allemagne, des anglicans d'Angleterre et des réformés de Hollande, d'Ecosse et de Suisse.    Cette date (1618) est significative : elle correspond au commencement de la Guerre de Trente ans, qui allait briser toute tentative de concorde entre Eglises, - avant que la Révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV n'achève de cimenter les fronts pour longtemps.                                                Pour ébrécher la muraille confessionnelle ainsi reproduite sur le plan des Etats, il aura fallu

    - d'une part la pensée critique et relativisante qui caractérise l'humanisme du siècle des 'Lumières ' ;

    - d'autre part le bouleversement politique de la Révolution française et des guerres napoléoniennes, remodelant les données géopolitiques et remettant progressivement en question l'influence des Eglises dans la vie publique.

(Notons le cas de Genève, où l'intégration dans le territoire cantonal élargi des communes naguère françaises ou sardes aboutit à  une population où cohabiteront catholiques et protestants.)

3) Une tradition piétiste qui aborde l'unité à  l'aune de l'expérience individuelle de la foi, seule déterminante : la foi d'une personne est reconnue indépendamment de son appartenance ecclésiale.

*   C'est notamment dans le domaine des engagements missionnaires et diaconaux qu'une telle conception a prévalu : par-delà  les diversités, voire les divergences confessionnelles de doctrine et d'organisation, les personnes concernées se reconnaissaient engagées dans une même œuvre de témoignage et de service du Christ.

Il est intéressant de relever ainsi que l'adjectif 'œcuménique' dans son sens actuel fut introduit en français par le pasteur Adolphe Monod, l'un des fondateurs de 1' 'Alliance évangélique universelle' (1846) ; or, cette dernière se situe dans la perspective d'une association entre chrétiens partageant une foi commune, plutôt qu'entre Eglises. 

'Nom tendons une main fraternelle à  tous ceux qui, en quelque lieu ou sous quelque dénomination que ce soit, aiment le Seigneur Jésus-Christ et l'invoquent en sincérité, et nous les considérons comme membres de l'Eglise universelle. '

A la même époque ( 1844) fut créée à  Londres 1' 'Union chrétienne de jeunes gens' par un groupe de jeunes issus des Eglises anglicane, baptiste, méthodiste et presbytérienne, avec le mot d'ordre : 'En avant ensemble ! '

B        Des Alliances confessionnelles au COE

Le dernier tiers du 19ème s. voit se constituer une série d'Alliances confessionnelles mondiales : Synode pan-anglican (1867), Alliances luthérienne ('68) et réformée ('75), Concile méthodiste ('91). On notera qu'à  la même époque, l'Eglise catholique romaine durcit ses positions institutionnelles : le Concile Vatican I (1869-70) promulgue l'infaillibilité pontificale en matière doctrinale et son autorité, - ce qui entraîne aussitôt la scission des 'Vieux-catholiques'(1871), notamment en Hollande, en Allemagne et en Suisse.

La concurrence dans les activités missionnaires rend urgent un accord entre les Eglises pour sortir d'une situation de confrontation. La Société des Missions de Paris s'édifie dès 1822 sur un plan interconfessionnel et supra-national, mais c'est surtout la Conférence universelle des Missions d'Edimbourg (1910) qui donnera un nouvel élan au dialogue et au rapprochement œcuméniques.

Les dévastations de la guerre de 14-18, qui vit notamment des autorités ecclésiastiques soutenir sans retenue les nationalismes bellicistes, devait précipiter le mouvement, - après que nombre d'autres témoins de l'Evangile eurent vainement essayé d'appeler à  la paix.

Les années '20 marquent ainsi le début d'une série de rassemblements et conférences œcuméniques, notamment celles de 'Foi et Constitution' (1ère conférence à  Lausanne (1927), à  laquelle un décret pontifical avait expressément interdit aux catholiques de participer !).

Ces multiples rassemblements et conférences devaient finalement aboutir à  la constitution du Conseil œcuménique des Eglises   au lendemain de la guerre de '39-45 et de ses destructions (Assemblée œcuménique d'Amsterdam, 1948).

Selon les termes mêmes de la Constitution du COE, il ne s'agit pas là  d'une supra-Eglise, mais d'une 'association fraternelle d'Eglises qui acceptent notre Seigneur Jésus-Christ comme Dieu et Sauveur. '

C         Au commencement était la pluralité

Dans la réflexion sur l'unité chrétienne, il nous faut souligner que dès le 1er s., l'Eglise des disciples   du Christ a vécu au pluriel :

* pluralité des communautés qui ont reçu et transmis l'Evangile (judéo-chrétiens de Judée, 'Hellénistes' de la diaspora juive des villes gréco-romaines, pagano-chrétiens de l'Empire, itinérants charismatiques, école johannique de l'Asie mineure,...) ;

* pluralité des Ecritures (deux Testaments, quatre Evangiles, épîtres de Paul, mais également de Jacques,...).

Une telle pluralité n'allait pas sans quelques tensions occasionnelles, voire même certains conflits :

* Ainsi, l'auteur de la 3ème épître de Jean se plaint-il, non pas d'éventuelles divergences doctrinales, mais de s'être vu refuser l'accueil et le respect par le représentant local de l'autorité ecclésiale.

* Ainsi, l' apôtre Paul ne craint-il pas les conflits de personne autant que de théologie, et s'y engage-t-il lui-même, mais en préconisant l'accueil mutuel pour vivre dans la vérité comme 'corps du Christ'.

  • Ainsi, Actes 6 et Actes 15 évoquent-ils la conciliation comme la manière judicieuse de résoudre les conflits en Eglise, dans la reconnaissance de la diversité des groupes qui la composent.

Plusieurs tentatives de réduire cette diversité plurielle à  l'unicité ont échoué, dès le 2ème s. : ainsi Marcion, qui voulait unifier l'Eglise en épurant les Ecritures (élimination de l'A.T., notamment), ou Tatien, rédacteur d'un Evangile unique composé d'extraits des quatre Evangiles ( 'Diatessaron ' : 'au travers des quatre ').

De fait, la pluralité était bénéfique à  plusieurs titres :

- elle est propice à  la mission de l'Eglise, dont le témoignage doit s'adapter à  divers auditoires ;

- elle reflète la foi, qui implique l'écoute de l'Evangile, mais également une adhésion personnelle ;

- elle rend compte de la liberté d'agir dans l'Esprit, sur la voie tracée par Jésus.

'La tentative de ramener la diversité actuelle des christianismes à  un dénominateur commun, c 'est-à -dire à  une origine commune et unitaire, s'avère une entreprise contraire à  la réalité historique.

La diversité est dès l'origine un élément constitutif de l'histoire des premiers mouvements chrétiens.

Le dénominateur commun de cette diversité, (...) c 'est-à -dire la révélation de Dieu dans la personne historique de Jésus-Christ confessé comme le Ressuscité et l'Elevé, est et reste historiquement inaccessible. D'un côté, il est l'objet de la confession de foi. De l'autre, il est le point focal de traditions d'interprétations dont la transmission ne va pas sans la réception subjective des générations successives. '

(Fr. Vouga : 'Les premiers pas du christianisme. Les écrits, les acteurs, les débats. ' Labor, 1997)

L'Eglise est une au pluriel, laissant une place légitime en elle à  la diversité, voire aux divergences,

pour autant que soit respectée la foi des communautés qui vivent et témoignent différemment.

La 'philadelphie sans hypocrisie ' (I Pierre 1/22) définit l'attitude qui consiste à  porter sur les autres

chrétiens un regard tout à  la fois fraternellement solidaire et lucidement critique.

L'hérésie ('scission, séparation ') n'est pas le contraire de l'unanimité (réelle ou apparente) de l'Eglise,

mais le refus (choisi ou imposé) de communion avec les autres composantes de l'Eglise.

La reconnaissance mutuelle comme expression de l'unité de l'Eglise fait écho aux témoignages néotestamentaires sur les relations entre communautés.

Elle est aussi la condition d'une véritable communication de l'Evangile au monde 'Qu'ils soient un, - afin que le monde croie'.

Ainsi, l'unité n'est pas une fin en soi,  mais une qualité de relations, de communion qui permet à  l'Eglise d'accomplir sa vocation missionnaire.

'Les Eglises sont diverses, parfois très différentes les unes des autres. Elles le sont pour des raisons historiques et culturelles, mais aussi à  cause de l'extraordinaire variété et richesse des messages de l'unique Evangile (...).

Unité et division sont des réalités mobiles, qui font partie du mouvement de l'histoire générale et de l'histoire de l'Eglise.

Nous entendons l'unité chrétienne comme communion conciliaire d'Eglises qui se reconnaissent réciproquement comme Eglises du Christ et se donnent la 'main d'association ' (Galates 2/9) dans leur mission commune et le témoignage rendu à  Jésus-Christ. '

(P.Ricca : 'Vade-mecum oecuménique'   Semaine de prière pour l'unité des chrétiens 1993)

D         Causes des principaux schismes dans l'histoire de l'Eglise

Les principales scissions dans l'histoire de l'Eglise étaient associées à  des divergences de doctrine :

* à  propos de la Trinité et de la nature humaine et/ou divine de Jésus, le Christ, le Fils de Dieu ;

* à  propos de la place des œuvres de l'homme dans l'œuvre du salut divin en Jésus Christ ;

* à  propos du nombre et de la nature des sacrements nécessaires à  la réception du salut ;

* à  propos de l'autorité et de la manière dont elle s'exerce dans et par l'Eglise, ainsi que de la nature et de la reconnaissance des ministères dans l'Eglise.

Des aspects géopolitiques ne furent toutefois pas étrangers à  l'institutionnalisation de ces scissions :

- division entre les empires chrétiens d'Orient et d'Occident ;

- conflit d'autorité entre Rome devenue Etat pontifical et les autres royaumes ou empires ;

- opposition entre royaumes et autres unités territoriales régionales issues de la féodalité. Croisades et conflits territoriaux ont ainsi favorisé ou durci scissions et anathèmes entre chrétiens.                         Depuis la Réforme du 16ème s., nationalismes et divisions confessionnelles ont tendu à  se confondre ('cujus regio, ejus religio'), - ces oppositions se répercutant aussi, plus tard, sur le plan des missions (colonialisme et évangélisation)...

E         En chemin, - vers quelle unité ?...

Un théologien résumait en une phrase ce qu'aucune Eglise réformée ne saurait accepter :

'L'identification par l'Eglise visible de son œuvre avec l'œuvre de Dieu. '         (Pierre Maury)

De cette affirmation découlent notamment les principes suivants, - qui reflètent d'ailleurs la plupart des controverses doctrinales majeures de l'histoire de l'Eglise (cf. ci-devant D)) :

*   La transcendance absolue de Dieu, incarné de manière unique en Jésus, le Christ,

-  à  rencontre de toute idéalisation de l'Eglise et/ou de telle figure comme 'incarnation continuée '.

*  La primauté des Ecritures, référence critique décisive en matière de doctrine et de pratique,

-  à  rencontre de toute tradition ecclésiale comprise comme interprétation faisant autorité.

*  Le salut comme fruit de la seule grâce divine proposée à  l'homme en Jésus, le Christ,

-  à  rencontre de tout intermédiaire indispensable à  la rédemption et au salut de l'homme.

*   La nature faillible de l'homme croyant, appelé à  répondre librement de sa foi et de sa vie,

-  à  rencontre de toute idée de 'surnature ' qui ferait des croyants des 'saints ', exempts de péchés et différant en cela du commun des mortels : la foi n'est pas (sur-)nature, mais grâce et relation. Ces principes influent sur la conception de l'Eglise, de sa nature et de son autorité, ainsi que sur la conception de l'humain, de la justification et de la vie chrétienne (éthique).

Or, c'est sur ces questions-là  que se poursuit le dialogue oecuménique, dans la reconnaissance des approches confessionnelles diverses et de la manière dont chacune d'entre elles rend compte de sa conformité aux Ecritures et à  l'appel commun reçu de Jésus, le Christ, unique Seigneur et Sauveur.

De récents documents, tels celui concernant 'Baptême, Eucharistie, Ministère'(BEM) (1982) ou la Déclaration commune Catholiques - Luthériens sur la Justification (1999), traitent de ces questions. Leur accueil controversé par nombre d'Eglises protestantes, notamment réformées, révèle, par-delà  de possibles convergences de vocabulaire, les différences confessionnelles qui subsistent dans la manière de concevoir les relations entre Dieu, l'Eglise (ou les Eglises) et l'humain (ou les fidèles).

La Semaine de prière des Chrétiens pour l'Unité nous rappelle judicieusement que celle-ci est un processus dont les fidèles ne sont pas les initiateurs, mais les témoins et les agents, animés et guidés par l'Esprit de Dieu.

*                                  *                                             *         Ion Karakash

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